De mère en fille au fil du temps
Vagabondage autour de quelques contes
Bien évidemment, pour traiter d’un sujet aussi vaste, il faudrait plus que quelques pages. Aussi, j’ai cueilli, ici et là, au détour des contes, quelques fleurs dans la prairie aux mille couleurs. Leurs fragrances sont infiniment complexes. Choisir pour chaque conte un seul parfum est réducteur…Mais le bouquet est odorant !
Un si petit désir
Nombre de contes parlent de la difficulté de devenir mère : Pouçot, Tom Pouce, notamment, et les contes qui lui sont apparentés.
Au début de l’histoire, une femme se désole, une fois de plus, de ne pas être mère. « Si encore, dit-elle, nous avions un enfant pas plus gros que le poing ! Il m’aiderait à renvoyer ces poules qui m’empêchent de faire mon pain ! ».
Avec ce souhait, elle transforme son désir d’enfant, en renonçant à un enfant « parfait », un enfant idéal. Ce faisant, elle devient créative : Tout en parlant, elle pétrissait un morceau de pâte dont elle fit un petit bonhomme qu’elle mit debout sur la huche en l’appuyant contre le mur.
Et cet enfant devient vivant.
C’est un enfant minuscule qui sait parler et marcher dès le premier jour.
Il veut aider ses parents et demande à sa mère de le poser dans l’oreille du bœuf. L’oreille, ou le réceptacle des sons, ce qui lui donne une dimension sexuelle féminine. Dans certaines littératures religieuses, Jésus n’aurait il pas été conçu par l’oreille ?
Quelques péripéties plus tard, Pouçot se niche dans un trou de souris, une coquille, une cave, un ventre de vache, un ventre de loup…Autant d’images de contenants, comme pour dire symboliquement à l’enfant : c’est de là que tu viens, avant de venir au monde, tu étais contenu dans un ventre, un endroit obscur où tu te développais… Comme pour dire à la future mère : si tu veux vraiment un enfant, c’est là, dans ton ventre, que ça va pousser !
Séparation et sevrage
L’enfant conçu et enfanté, le nourrisson grandit et déjà il faut s’en séparer.
De cela traite remarquablement Hansel et Gretel…
La mère de naissance est morte, comme dans beaucoup de contes merveilleux.
Cette disparition permet de séparer les affects, et, quoi qu’il se passe ensuite, de garder de l’amour pour cette mère là, toute bonne, puisqu’elle a fait à son enfant le cadeau le plus précieux : celui de la vie.
La marâtre entre alors en scène, en même temps que la disette frappe la famille. Elle décide de perdre les enfants, avec la complicité du père. Que découvrent les enfants, une fois perdus dans la forêt ? Une maison en pain d’épices, une maison qui se mange. Quelle belle figure maternelle, cette maison qui se mange !
Pourtant une vieille ogresse en sort. Pourquoi ?
Dans l’inconscient, ce qui peut se faire dans un sens peut aussi se faire dans l’autre: avec le sein bien enfoncé dans sa bouche, le petit enfant ignore qu’il ne mange pas sa mère, qu’il boit seulement son lait. Aussi, s’il « mange sa mère », sa mère aussi peut le manger.
D’où les terreurs des petits, et pour les conjurer, leur appétit d’histoires de loups, de sorcières, d’ogresses, sortes de « mères dévorantes ».
Bien sûr, je savais tout cela. De façon théorique. J’ai eu la chance d’en avoir une illustration remarquable. J’étais dans une cour d’école maternelle, peu de temps après la rentrée. Un petit garçon, au bord des larmes, était accroché à sa maîtresse. Une belle femme, plantureuse, aux lèvres et aux ongles très rouges. Une autre adulte demande qui était ce petit, la maîtresse renseigne, et elle ajoute : « il est trop mignon, je vais le croquer ! »
Sous mes yeux, j’ai vu le petit se décomposer, tenter de s’éloigner de la maîtresse qui le tenait par la main. J’ai dû parler à l’enfant à plusieurs reprises, demander à la maîtresse de confirmer que c’était une plaisanterie. Si cet épisode était passé inaperçu, sans nul doute, ce petit garçon qui avait déjà pas mal de difficultés de séparation aurait pu vivre très mal sa scolarité, sans que l’on puisse en déceler la raison.
Mais revenons à Hansel et Gretel.
La maman toute bonne, qui donnait généreusement le sein (ou le biberon) ne veut plus que le bébé y accède. Si elle lui refuse cette intimité, va t-elle l’abandonner ?
La menace est trop grave : jamais une mère toute bonne ne pourrait abandonner ses enfants ! Alors la marâtre s’en charge.
L’histoire finie, les enfants sauront se nourrir seuls.
Et le père, dans tout ça ? Quel drôle de bonhomme… Il obéit aveuglément à sa seconde femme et accepte sans sourciller de perdre ses enfants dans la forêt.
Cet homme là fait pourtant ce qu’il a à faire : il aide sa femme à procéder à la séparation, au sevrage, pour qu’ensuite les enfants puissent avoir accès à lui. Et c’est lui que les enfants retrouvent à la fin de l’histoire.
La mère est sortie de la scène pour laisser la place au tiers, au père.
Couper le cordon !
Cela n’est pas toujours facile, pour une mère, d’accepter de « couper le cordon »…
Et accepter de se séparer de cet enfant si longtemps porté et de le considérer comme une personne à part entière. Il est si tentant de le garder jalousement, indéfiniment, comme un trésor.
Rapunzel (Raiponce, Doucette) est de la partie : une femme est enceinte, mais elle voit à côté de sa maison le jardin clos d’une « magicienne » dans lequel poussent de magnifiques doucettes. Elle a envie de les manger, obtient la complicité de son mari qui va les cueillir … La magicienne le surprend, et lui permet de prendre les doucettes, à condition de lui donner l’enfant, une fille, évidemment. Et le mari donne son accord.
Lorsqu’elle eut douze ans, la magicienne l’enferma dans une tour située dans la forêt, sans escalier ni porte, et qui n’avait qu’une petite fenêtre tout en haut.2
Raiponce n’aura pour seul contact avec le monde que le cordon de ses cheveux, comme si elle était encore dans un ventre.
Cet amour maternel est si exclusif qu’il tente de mettre à l’écart les autres et le monde.La fille appartient entièrement à la mère.
J’en ai croisé, des Raiponces modernes, recluses chez leurs parents, derrière leur ordinateur (un équivalent de la fenêtre de la haute tour), paniquées à l’idée d’affronter l’école, le monde, le travail ; dans l’impossibilité de quitter le cocon protecteur.
De l’intimité mère-filles
Heureusement, cela ne se passe pas toujours de façon si difficile ; mère et fille peuvent aussi partager de l’intimité de façon saine.
Neige Blanche et Rose Rouge ; comme leurs deux rosiers, voici deux filles bien enracinées, bien plantées en terre mère nourricière … Bien que vivant seules avec leur mère, les deux filles jouissent d’une grande liberté. Si elles s’étaient attardées dans la forêt et que la nuit les surprenait, elles s’allongeaient l’une à côté de l’autre sur la mousse et dormaient jusqu’au matin, la mère le savait et ne se faisait pas de souci3.
Dans cet univers féminin si doux, le masculin (l’ours, puis le nain) va faire irruption, aidé en cela par la mère, qui guide ses filles à voir au-delà des apparences.
Et cette mère, à la fin du conte, acceptera de laisser partir ses filles, de les voir devenir femmes et épouses.
Jamais deux sans trois
Dans le conte de Neige Blanche et Rose Rouge, pourquoi y a –t-il deux filles ? Une seule aurait suffit, si tant est qu’elles sont presque semblables et toujours ensemble…
C’est une façon subtile d’indiquer que la relation entre la mère et ses filles est saine : la mère ne traite pas sa fille comme un objet lui appartenant, ou comme une réplique miniature d’elle-même ; elles ne forment pas une sorte de couple mère-fille ; car une autre fille est présente, le tiers n’est pas exclu, comme dans le conte de Raiponce.
Heureusement, malgré sa réclusion, Raiponce rencontrera un prince ; de lui elle aura deux enfants, deux jumeaux ; cette naissance double nous indique qu’elle ne reproduira pas avec ses enfants ce qu’elle a subi avec la magicienne. La problématique d’enfermement et d’exclusion qui a été la sienne est vraiment résolue.
La même et l’autre
Quand un garçon naît, la différence est posée d’emblée.
Entre la mère et la fille, il y a toujours la tentation que l’une devienne le miroir de l’autre. Combien de filles ont pour mission dans leur vie de faire comme maman, mieux que maman, de réussir là où la mère a échoué, en une sorte de réparation. Si la fille se révolte et tente de faire le contraire de maman, elle se conforme encore au modèle maternel, en l’inversant.
Pour accéder à son autonomie, la fille devra d’abord s’attacher à la mère, s’identifier à elle, s’en différencier et s’en détacher. Et trouver d’autres modèles féminins. C’est là que les grand-mères, les tantes, les marraines sont précieuses… Dans les contes, les initiatrices ne manquent pas !
Quitter l’enfance
Comment permettre à la fille de devenir femme, puis mère à son tour ? En allant visiter la plus que mère, la mère-grand. Dans les versions traditionnelles (celle de Grimm est incomplète, celle de Perrault plus encore), la mère du Petit Chaperon Rouge4 sait très bien ce qu’elle fait quand elle envoie sa fille chez la grand-mère. Entre autres pour y incorporer les qualités de cette mère, à savoir la fécondité. La fille devient femme, la grand-mère ne peut plus enfanter, la roue tourne, la chaîne de vie peut continuer.
Alors le Petit Chaperon Rouge connut que c’était le loup. Tout doucement, tout doucement, elle défit le nœud de laine et s’échappa en cotillon vers la rivière. Des lavandières étaient là à laver leur linge. Elles étendirent sur l’eau un drap et la fillette passa sur l’autre rive. Pendant ce temps, le loup tirait sur la ficelle. Rien. La petite avait filé. Furieux, il courut vers la rivière. Les femmes étendirent un drap mais quand le loup fut au beau milieu elles tirèrent toutes ensemble et la mâle bête se noya.5
Les lavandières sont là pour rappeler au loup que ce n’est pas parce que la petite est devenue jeune fille qu’elle est prête immédiatement à avoir un amant.
Cent ans pour un amant
Il ne faudrait pas qu’elle grandisse trop vite, cette petite princesse, si charmante avec les qualités attribuées par les fées. Voilà encore des parents qui peinent à laisser leur fille grandir pour naître à la femme en devenir. Et pourtant, ils la laissent seule, justement le jour de ses quinze ans.
Elle alla partout, visita les salles et les chambres, selon son envie, et finit par arriver à une ancienne tour. Elle monta l’escalier en colimaçon et se trouva devant une petite porte. Une clé rouillée était fichée dans la serrure et, lorsqu’elle la tourna, la porte s’ouvrit et elle vit dans une chambrette une vieille femme avec un fuseau qui filait assidûment. « Bonjour, petite mère, lui dit-elle, que fais tu là ? » « Je file », répondit la vieille, avec un bref mouvement de la tête. « Et qu’est ce que cette chose qui saute si gaiement ? ». Ce disant, la jeune fille saisit le fuseau pour filer elle aussi. A peine l’avait-elle touché que le sortilège se réalisa et elle se piqua le doigt.6
L’enfance finie, le sang coule, la voici jeune fille. Auprès d’une vieille, elle a trouvé l’initiation qui lui faisait défaut. Il lui faudra attendre, longtemps, au Bois Dormant, avant d’être prête à assumer une vie de femme, amante d’un prince charmant.
Ma fille, mon miroir…
Pour d’autres mères, voir leur fille grandir est inconcevable parce que cette fille, devenant femme, constitue une rivale potentielle.
Ainsi la mère de Blanche-Neige. Son désir d’enfant est ambigu ; en même temps que la vie, elle souhaite la mort (teint pâle comme neige, lèvres rouges comme le sang, cheveux noirs comme l’ébène).
La mère meurt et laisse la place à la marâtre. Femme plus que mère, narcissique, d’apparence parfaite, obligée de se mirer pour se rassurer d’être.
« Miroir, gentil petit miroir, qui est la plus belle dans tout le pays ? »
Obsédée par les apparences, la mère de Blanche-Neige n’aurait pas supporté d’avoir une fille laide. La fille grandissant, de faire valoir, elle devient concurrente.
Impossible pour la marâtre de s’effacer, de laisser la place, de voir les regards se poser sur sa fille et non sur elle. Dans la petite maison des nains, elle initie pourtant sa fille à la féminité, mais son initiation est meurtrière.
« Mon enfant, dit la vieille, de quoi as tu l’air ? Viens, je vais te lacer correctement ! » Blanche-Neige n’y vit pas malice et se laissa lacer, mais la vieille le fit avec tant de force que Blanche-Neige ne pouvait plus respirer et s’écroula, comme morte. « Maintenant, tu n’es plus la plus belle », déclara la vieille, qui s’enfuit7.
Et quand la marâtre revient avec la pomme, il s’agit bien de devenir femme, en goûtant au « fruit défendu ».
Le beau fruit faisait envie à Blanche-Neige qui, voyant que la paysanne en mangeait, ne sut pas résister, tendit la main et prit la moitié empoisonnée. A peine en avait-elle pris une bouchée qu’elle tomba sur le sol.8
Rivales, la marâtre et Blanche-Neige ont croqué toutes les deux dans la pomme.
Mères injustes
Beaucoup de contes mettent en scène une mère et plusieurs filles, selon l’opposition l’aimée/la détestée : Cendrillon, Dame Holle, Vassilissa la très belle…
Est-ce qu’il s’agit de l’illustration de maltraitances ? Les Cendrillon modernes existent plus souvent qu’on ne le croit. Ou s’agit il de montrer qu’il est impossible d’aimer ses enfants exactement de la même façon ? Ou de la mise en images de la jalousie éprouvée par la fille à l’égard de sa/ses soeurs ?
Dans ces contes, l’héroïne ne trouve pas chez elle la nourriture affective et les stimulations positives dont elle a besoin pour se développer ; elle s’appuiera alors sur une autre femme, une autre mère : mère-grand, fée, marraine, sorcière, vieille qui sait, Femme sauvage9…
Et trouvera là de quoi restaurer l’image et l’estime de soi et les ressources pour se délivrer d’une relation mère-fille dévastatrice.
En guise de conclusion
Tout humain est issu d’une mère qui lui a donné abri et nourriture dans son ventre, qui lui a fait le cadeau de la vie.
Quelles que soient les relations entre mère et fille, les contes merveilleux sont une parole de vie, une parole d’espoir : que ta mère soit merveilleuse, indifférente, absente, destructrice, ou trop protectrice, tu sauras trouver en toi et autour de toi les ressources nécessaires pour vivre ta vie de femme et être heureuse et, si tu le désires, devenir mère à ton tour.
Mapie Caburet
un condensé de cet article est paru dans la revue « La Grande Oreille » N°56, hiver 2013-2014
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