L'OR des CONTES
Imaginez un instant…
Vous marchez dans la forêt. A l’écart du sentier, votre regard est attiré par une forme sur le sol. Vous quittez le sentier, vous vous approchez. Vous découvrez un coffre rouillé, à moitié enfoui dans la terre…
Avant même de vous demander si vous allez l’ouvrir, vous avez échafaudé sans vous en apercevoir 1001 hypothèses, pour répondre à 1001 questions : qu’est ce que c’est ? D’où ça vient ? Qui l’a mis là ? Qu’est ce qu’il y a dedans ?
Vous avez échafaudé 1001 embryons d’histoires, imaginant ce que fait ce coffre à cet endroit et comment il est arrivé là.
Pour comprendre, donner du sens, vous vous racontez des histoires…
C’est peut être ça, le premier apport des contes : une tentative d’explication du monde qui nous entoure, et ce, depuis la nuit des temps…
Les chercheurs situent l’aube des histoires à la préhistoire.
Nos ancêtres faisaient deux feux distincts. L’un servait à cuire la nourriture et l’autre à se réchauffer, être ensemble et parler. Dire la journée, les endroits où la cueillette est abondante, transmettre des informations. Evoquer le passé (la partie de chasse de la veille, ceux qui sont partis définitivement pour le « territoire des ombres »). Créer le futur…
C’est peut être ça, le deuxième apport des contes : sortir de la limitation de notre présent et de notre perception du réel, si parcellaire ! Limitée à nos sens, elle n’a pas grand-chose à voir avec le monde vu par une abeille, un protozoaire ou un arbre… Il faut bien inventer, pour explorer les territoires inconnus… C’est l’imagination qui a nourri nos grandes découvertes.
Nous sommes une « espèce fabulatrice »…
Les contes, en particulier les contes merveilleux, sont des scénarios qui nous aident à rêver notre vie et à la vivre. Ils nous structurent.
Ils ont comme point de départ des manques essentiels : nourriture, affection, reconnaissance, quête de sens …
Ils représentent sous forme symbolique nos angoisses les plus profondes : être anéanti (dévoré par le loup, l’ogre, la sorcière), être abandonné et perdu (dans la forêt, comme Hansel et Gretel), maltraité (comme Cendrillon la souillon), transformé (les 7 cygnes), tué (Blanche Neige) …
Ils mettent des mots sur tous nos maux d’humains, sur nos difficultés lors des étapes de la vie : naissance, séparation d’avec les parents, adolescence, approche de l’autre, fondation d’un couple, d’une famille, parentalité, place dans la société, vieillesse, mort, et au-delà…
Ils transmettent sans en avoir l’air la connaissance que nous, les humains, avons de la nature humaine et son fonctionnement.
« Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants… »
Oui, oui, ça finit toujours pareil, ces contes merveilleux ! Et heureusement ! C’est une façon de nous dire : même si tu risques de mourir de faim et que l’on t’abandonne (Petit Poucet), si ta mère t’envoie dans la forêt malgré le loup (Chaperon Rouge), si ta belle-mère veut te tuer (Blanche Neige), si on t’a jeté un mauvais sort (Belle au bois dormant ), si le partage de l’héritage est injuste ( le Chat Botté), si ton père veut t’épouser (Peau d’âne), si ton mari est un monstre (Belle et la Bête), tu t’en sortiras !
Dénonçant sans relâche les injustices et la bêtise du monde, subversifs par leur opiniâtreté à défendre les petits contre les gros, les contes célèbrent la Vie…
Et surtout, ils disent : tu n’es pas tout seul ! Ils remplacent le sentiment de solitude par une sensation de vécu partagé…
Message d’espoir, promesse de réussite qui console et permet de se relier à nos ressources internes et aux ressources externes de l’univers…Qui n’a jamais croisé sur sa route une « bonne fée », une vieille, un grand père, un sage, présents au bon moment pour nous indiquer le choix le meilleur ?
Message d’espoir, qui combat inlassablement les « A quoi bon », qui incite l’humanité à agir pour un avenir meilleur…
Les contes tissent des liens entre les cultures, les générations (pour qu’un conte nous parvienne, par combien de bouches a-t-il été dit, et par combien d’oreilles entendu, par combien de coeurs reçu ?)
A l’époque où nous mettons des écrans à nos vies (télé, ordinateur, consoles, i phone et compagnie), les contes rassemblent un auditoire de la façon la plus simple : un vivant parle à des vivants…
Ils proposent le luxe d’une intimité de soi à soi ; écoutant le conteur, chacun rêve les yeux grands ouverts et visite ses « paysages intérieurs ». Comme chacun a l’impression de vivre la même aventure, en même temps, le voisin n’est plus un inconnu !
Ces contes, contez-les sans compter, à vos enfants, bien sûr… Même si ces histoires semblent cruelles, elles sont une école des émotions. Que c’est bon de sentir la peur monter, monter, quand le chaperon rouge dialogue avec le loup, « grand-mère, que tu as de grands yeux » et que l’on est confortablement installé sur les genoux de maman ou papy… Seule condition : que la fin soit positive, pour que l’histoire fasse œuvre nourricière…
Contez-les sans compter, pour vous-mêmes : nos ailes ont été rognées par combien de paroles blessantes, d’aventures malheureuses, d’accidents douloureux…Au lieu de s’éprouver encore et encore vilain petit canard, fréquenter les contes est une belle façon de retrouver sa véritable nature de cygne blanc…
Ecoutez les sans compter…Le lien le plus fort est peut être celui d’une présence qui nous dépasse, ce quelque chose qui parle au travers du conteur, la résonance d’une parole sacrée… Une des nourritures de l’âme…
Alors, ce coffre rouillé, vous l’ouvrez ?
Mapie (Marie-Pierre) Caburet
Article paru entre autres dans la revue "Réveil" en décembre 2011
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