Pensées pour Daniel FATOUS (décembre 2017)
Il disait : "La mort, faut pas en faire toute une affaire..."
Notre ami conteur, lecteur à voix haute, écrivain, formateur, metteur-en-scène, programmateur, conférencier, empêcheur de penser en rond Daniel FATOUS est parti tutoyer les étoiles.
Échos...
Billet de décembre 2017, posté ici par la Lueur
Ce ne sont que de petits signes noirs sur du papier blanc et ce sont des portes
"Ce ne sont que de petits signes noirs sur du papier blanc. Derrière, il y a quelqu’un qui me parle. Mais souvent, trop souvent, ces signes forment, pour qui les voit en surface, un mur infranchissable. Je ne pense pas seulement à ceux qui ne savent pas ou pas encore déchiffrer. Est-ce que nous savons lire ? Et quand le savons-nous ?
Ouardia apprenait à lire. Elle avait cinquante ans. Sa vie était déjà pleine de paroles. Des histoires qu’on lui avait transmises et qu’elle-même avait racontées à ses enfants. Elle avait, dit-elle, lu dans la vie avant de lire dans les livres. A Christophe qui apprenait avec difficulté elle dit un jour : C’est parce que le désir te manque ; tu ne sais pas ce qu’il y a derrière la porte. C’est une lourde porte, il faut du courage pour la pousser, mais quand tu sais tout ce qu’il y a derrière, quand tu as vu le soleil qu’il y a derrière, alors la porte n’a plus de poids. C’est comme la porte de chez toi. Tu l’ouvres, tu es chez toi… Tu n’imaginais pas comme c’est grand chez toi.
Ce ne sont que de petits signes noirs sur du papier blanc et ce sont des portes. Derrière quelqu’un nous appelle. Un jour, on répond oui. Mais quand on est entré on entend une langue étrangère. Alors il y a trois attitudes possibles, soit on fait semblant de la comprendre (je connais bien des gens dits cultivés qui s’en contentent et ne transmettent que ce contentement-là), soit on se dit qu’on s’est trompé de porte et on ne trouve toujours pas le courage d’en ouvrir une autre, soit on comprend qu’on est chez soi, que cet étranger qui nous parle est notre hôte. Et le mot hôte est un des plus troublants de la langue française puisqu’il nomme à la fois celui qui reçoit et celui qui est reçu.
Ce ne sont que de petits signes noirs sur du papier blanc. Quand je les reçois, ils me reçoivent. Ils sont comme le voyageur que j’accueille dans ma maison. Il me raconte ses voyages et ma maison soudain n’a plus de murs. Ma maison est partout. Partout est ma maison. Et même, dans la plus grande solitude, le voyage de ce que je lis, l’empreinte de ce que j’ai lu me témoignent une présence fraternelle, me chuchote que je suis vivant, puisque c’est bien à moi, à mon cœur singulier qu’ils s’adressent…
Ce ne sont que de petits signes noirs sur du papier blanc. Des signes secrets qui disent : ici, il y a un trésor. Vas-y ! Creuse ! Je ne peux pas déterrer tous les trésors. Lire, ce n’est pas lire beaucoup. Ce n’est surtout pas lire pour paraître ou se rendre intéressant. C’est bien assez de trouver au fond d’un trou un éclat de miroir qui te regarde sans complaisance, qui te demande qui tu es. Et par cette question, tu entends les voix de tous les voyageurs que tu as reçus, tu te vois en chemin avec eux, tu te reconnais…"
Daniel FATOUS